Leurs coeurs bougent comme leurs portes . Olivier Kaeppelin . Avril 2012
L’œuvre actuelle de Sacha Ketoff est une des œuvres graphiques les plus impressionnantes, les plus captivantes du moment.
Impressionnante car quelques soient les techniques qu’il emploie (aquarelle, mine de plomb, crayon de couleur) il les maîtrise brillamment, non pas par goût de l’artifice, mais parce qu’elles sont par rapport à son propos, si justes, qu’elles incarnent profondément, avant tout langage, le sens qu’il désire. Grâce à elles, nous sommes au cœur de l’art, ici l’expression n’a pas besoin d’autres concours.
Captivante car le dessein de Sacha Ketoff, – utilisant des «héritages » classiques évoquant Dürer, Andrew Wyeth ou des manières très indépendantes : la figuration libre, la bande dessinée – est de faire vivre un personnage de notre temps : le gueux, l’homme perdu des villes, l’anonyme frappé par le destin qui ne cesse, cependant de croire en sa qualité unique, ne cesse d’être porteur d’utopies qui l’égalise aux personnages mythologiques, aux « perdants magnifiques » dont on dira plus tard qu’ils sont les héros de notre siècle.
Ces acteurs urbains, nous les rencontrons, chaque jour, sur terre, dans les banlieues, « gens de toute sorte » à qui l’artiste, grâce à son œuvre, permet « d’égaler leurs destins ». Nous nous souvenons d’un Sacha Ketoff artiste « d’avant-garde », « performer- installationiste ». Il préférait l’air à la terre, avec avions, vols et pilotes de chasse. Il en est toujours de même, les héros que j’évoque de son œuvre sont des « O.U.M » « OISEAU. URBAIN. MALCHANCEUX » et particulièrement, le plus déconsidéré d’entre eux, le pigeon, le pigeon mort, le pigeon écrasé sur l’asphalte qu’il ramasse, à qui il redonne vie mais une vie sublime grâce à la beauté des formes qu’il crée, semblables à celles qui animent « l’aile » des poètes, des peintres et des philosophes. Le plus ordinaire, le plus négligé devient le plus précieux, ce dont on dit qu’il faut y tenir plus qu’à la prunelle de ses yeux. Sacha Ketoff, amoureux du jeu et du paradoxe, s’en sert pour, grâce à une forte tension esthétique et éthique, créer une émotion extrême. Il faut regarder très attentivement ces « O.U.M » nous rappelant que la pensée transforme le plomb en or. Ces dessins sont le fruit d’une concentration qui permet de vivre, trait par trait, cette métamorphose mais ils ne sont qu’une part de l’œuvre de Sacha Ketoff qui, par ailleurs, nous confronte à la mort et à sa fascination qui maintient en vie ou, au contraire, qui nous livre aux contorsions, « aux grotesques » des récits, des riches heures de nos vies : désirs, maladies, luttes et plaisirs, féminin, masculin, palmiers et palais, tentations et fuites dans des sarabandes à l’humour grinçant où les mythes anciens et modernes entrent dans la danse.
Les dessins de Sacha Ketoff sont ceux d’un monde aux multiples existences. L’air de rien avec sa troupe « de drôles d’oiseaux », ceux de la mémoire, des nuits et des jours, Sacha Ketoff, comme l’a fait Egon Schiele nous emmène au plus profond de l’anima, de l’énergie, de la noblesse de la douleur humaine. Le corps est ouvert comme un livre et le plus humble ne peut plus être offensé.
Olivier Kaeppelin